La relation de Marine avec son cheval de 6 ans (elle l'a acheté il y a un an et il est de race criollo) se dégrade fortement. Marine préfère les ballades dans la nature au travail en carrière mais son cheval développe de plus en plus des réactions d'opposition : Il encense, trottine, refuse l'immobilité, cherche à prendre la main, botte son voisin de promenade, galope au retour. Bref il devient insupportable.
"J'ai eu l'occasion de monter des criollos lors de mes années brésiliennes (entre 1988 et 1993). Ils affichaient souvent un caractère indépendant et étaient plus insoumis que dociles. Comme je n'aime pas me battre avec un cheval, j'avais tendance à leur préférer d'autres montures. Cependant, les gauchos argentins en parlent avec des trémolos dans la voix. S'ils sont bien dressés, ce sont les plus attachants des compagnons. Mais côté dressage, on s'aperçoit que ces gauchos ne font pas dans la dentelle : ils imposent leur autorité sans discussion possible. Est-ce à dire qu'il faille reprendre leurs méthodes ? Je ne crois pas car l'équitation éthologique ne manque pas de fermeté et pose comme base de la relation le respect entre le cheval et son cavalier.
Or à la lecture de votre courriel, on a l'impression que c'est le cas : votre cheval en prend à son aise avec vous et vous manque de respect. Par voie de conséquence, la confiance entre lui et vous est fortement détériorée (respect et confiance sont très liés chez le cheval). Il a probablement découvert qu'en s'opposant à vous, c'est lui qui devient le maître de la situation. Ses réactions se systématisent et se transforment en mécanismes.
Plus problématique est son problème d'hystérie : son désarroi lui fait perdre ses instincts jusqu'à le faire tomber dans un trou sans l'aide de personne. Cette situation peut devenir dangereuse.
Donc, tout reprendre à zéro en imposant une autorité naturelle basée sur la dominance qu'il reconnaîtra en tant que cheval. Et supprimer ses vieux réflexes de fuite ou d'opposition en les contrant systématiquement par un acte de dominance: Bouge quelque chose quelque part. En contrepoint, l'amitié et la récompense seront prépondérantes car elles lui montreront clairement quand il agit convenablement, c'est-à-dire en partenaire.
Si vous lisez mon chapitre sur les chevaux difficiles, vous verrez que le travail à pied est très important dans un cas comme celui-là. Il résout beaucoup de problèmes, d'autant plus que le cheval de son côté voit naître un nouveau cavalier : amical mais n'admettant plus les incartades (sortir du cadre dans lequel on lui demande de rester).
Un stage de rééducation semble s'imposer. Ne serait-ce que pour qu'une tierce personne, impartiale et expérimentée puisse mettre le doigt sur ces mécanismes pervers pour justement les empêcher de se reproduire et à partir de là, engager le couple sur une spirale vertueuse.
Le 23 novembre 2005
A la suite de cet échange, Marine m’a demandé de venir. Nous avons travaillé Arroyo à raison de 6 heures par jour pendant 3 jours. Nous avons suivi le programme indiqué dans le chapitre « Chevaux difficiles ».
J’ai trouvé un cheval extrêmement sensible, voir explosif et très craintif (toujours un pied en arrière lorsqu’on lui demandait quelque chose, donc manque d’impulsion), intenable dès qu’on le montait avec cependant une grosse qualité : dès qu’on l’arrêtait, il se calmait.
Le travail à pied a pris un jour et demi. J’ai dû en particulier le travailler dans son box pour qu’il ne me montre plus systématiquement les fesses. Le pacte d’amitié lui a rendu confiance en l’homme et son émotivité s’est transformée en réactivité (belle qualité mais qui nécessite du tact de la part du cavalier). Il est devenu confiant et a retrouvé son impulsion. Un des caps difficiles fut de lui apprendre à marcher à côté de son cavalier et non pas forcément derrière. Il s’est mis alors à faire de très beaux marche + pli.
Marine s’est aperçu que le fait de s’énerver, de ne pas supporter la contrariété et de vouloir tout, tout de suite, détruisait instantanément la confiance et faisait immédiatement entrer le cheval en opposition.
Ont suivi un jour et demi de travail monté, divisés en un jour en carrière et une demie journée en extérieur.
En carrière, il s’excitait dès les premiers pas. J’ai passé deux heures à arrêter cette excitation en lui imposant — en paix totale avec moi-même — un demi-tour sur les épaules dès qu’elle se manifestait, suivi de l’immobilité pendant plusieurs secondes et d’une caresse. A la fin, il se rendait et faisait ce que je voulais sans plus s’opposer. Le lendemain, Marine, ravie, pouvait entamer le travail sans rênes en toute tranquillité.
Mais comme je m’y attendais, durant la promenade de l’après-midi, il a retrouvé ses vieux démons. Je proposais à Marine de refaire dans les jours qui suivent le même travail que j’avais fait en carrière le jour précédent, avec beaucoup de sérénité, sans jamais s’énerver.
coucou,
c'est encore moi, tu vas en avoir marre! je voulais attendre quelques semaines avant de te renvoyer des news mais ce qui c'est passé aujourd'hui est, je trouve, très important!
- tout d'abord pour la première fois Arroyo est venu vers moi dans son box sans que je ne lui demande rien, il était content de me voir!!!!!
- ensuite j'ai travaillé en carrière à pied puis à cheval. tout mon travail à cheval c'est fait avec le collier c'est super, au départ il était nerveux lorsqu'on a essayé de le faire travailler au collier, mais aujourd'hui il est resté très calme tout au long du travail; des transitions à la direction en passant bien sur par l'immobilité! C'EST GENIAL!!!!!!! merci et puis encore merci…
Courriel de Marine daté du 7/12/05
Après des hauts et des bas (essentiellement en extérieur), je proposais à Marine de continuer l’éducation de son cheval par une randonnée que j’organisais en juin dans les Pyrénées espagnoles sur le thème « initiation au voyage à cheval ». Cinq jours à crapahuter en situation de voyage (animal de bât, autonomie complète, terrain difficile… et superbe) avec 4 cavaliers et 5 chevaux. L’expérience fut vraiment bénéfique, en particulier pour Arroyo. Le terrain montagneux, très inhabituel pour lui et parfois très difficile lui a apporté franchise, adresse (il était très malhabile au début), confiance en lui et en l’être humain (je pense que Marine a également développé ces qualités). Il a pu s’exprimer dans le calme et la sérénité (de longs galops tranquilles ou de longues montées où il marchait à son allure : un pas incroyablement rapide… le rêve du cavalier au long cours). Il s’est créé des amitiés, en particulier avec Ros, le cheval de bât… et sa maîtresse. Une nuit, elle est sortie de sa tente et a entendu un grand trot dans le noir. C’était Arroyo (le seul à n’être pas entravé) qui venait la voir.
Marine sait maintenant qu’elle pourrait partir au bout du monde avec lui si elle le désirait. Entre l’impasse des débuts et la relation actuelle, deux mondes. L’un de frustrations, d’exaspérations, d’impasses ; l’autre d’estime, de construction complice, d’avenir qui s’ouvre. Une belle histoire.
Texte © Stéphane Bigo – Photos © Véronique ou Stéphane Bigo
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