Dans le domaine de l'art, je suis le premier à regretter cette séparation entre l’œuvre et l'auteur. Tout s'inscrit dans un contexte, l’œuvre d'art ne fait pas exception. Si l'on veut non seulement comprendre une œuvre mais également lui ouvrir les canaux sensibles de nos émotions, une culture la concernant est indispensable. Rares sont les œuvres d'art qui nous parlent d'emblée, surtout lorsqu’elles sont noyées dans la multitude d'une exposition. Et même dans ce cas, si l'on veut partager toute la dimension émotionnelle de l'auteur, si l'on veut être habité par la force de son inspiration, la connaissance de ce contexte est indispensable. C'est alors qu'il nous élève à la hauteur de sa création… et qu'il nous révèle à nous-mêmes.
Dans le domaine de la justice, Robert Badinter en 1981 reprend l'idée fondamentale de Gandhi dans son célèbre discours sur l'abolition de la peine de mort : Le criminel ne doit pas être identifié à son crime. Aussi terribles, aussi odieux que soient leurs actes, il n'est point d'hommes en cette terre dont la culpabilité soit totale et dont il faille pour toujours désespérer totalement. Il ajoute par ailleurs : Tout le progrès historique de la justice a été de dépasser la vengeance privée. Et comment la dépasser, sinon d'abord en refusant la loi du talion ?
Venons-en maintenant à la question de l'éducation. Dans le chapitre 5 de notre essai concernant la relation, nous soulignons que l’état d'esprit de l'éducateur et la façon dont il se représente mentalement l'apprenant influencent grandement l'apprentissage. Distinguer l'apprenant de ses actes consiste à le considérer comme sujet et non pas comme objet et admettre en tant que tel que c'est un être de potentialité qui ne peut être réduit à ses actes. Lesquels ne sont que des expressions momentanées d'une conjonction qui ne cesse d'évoluer (des illusions au sens bouddhiste du terme). Distinguer l'apprenant de ses actes revient à admettre que tout acte est un essai qui aura d'autant plus de valeur pédagogique qu'il sera imparfait et entaché d'erreur. Le cerveau a en effet besoin d'un retour d'expérience, indispensable au traitement correct d'une tâche. Telle est la clef de l'apprentissage par essai-erreur qui seul apporte à l'apprenant l'expérience nécessaire à son exécution et donne du sens à ce qu'il fait.
Exit donc, la "pédagogie du premier de classe" et l'état d'esprit de l’éducateur qui considère que c'est à l'apprenant à se hisser à son niveau et non l'inverse.
1 De Mahican -
En tant qu'institutrice, j'ai toujours cru en l'apprentissage par essais-erreurs. C'est celui dont on se souvient le mieux, parce que, s'ils sont moins triomphants pour l'ego, ils ancrent le sens des choses, consignent la compréhension profonde par l'expérience et le vécu, et donc permettent de savoir ce qu'on doit faire ou pas la prochaine fois.
Les essais-réussites sont quand à eux des sortes de bons points qui nous incitent à continuer, créant un état d'écho-confort de l'apprentissage. Mais seuls, ils gonflent l'ego en montgolfière parce qu' ils se figent sous le regard et l'appréciation de l'autre, laissant à l'apprenant cet état de devoir être toujours le premier de la classe au détriment et avec mépris des autres ou d'une position moins "valeureuse"...
La conclusion de ce sujet n'est pas sans me rappeler un texte que j'ai eu pendant des années dans mon agenda, de Janusz Korczak (en réalité Henryk Goldszmit, médecin, pédiatre, éducateur, pédagogue et écrivain polonais - 1878 Varsovie/1942 Camp de Treblinka - et qui eu un prix de la Paix des libraires allemands) :
Vous dites: " c'est épuisant de s'occuper des enfants".
Vous avez raison.
Vous ajoutez: "parce que nous devons nous mettre à leur niveau. Nous baisser, nous pencher, nous courber, nous rapetisser."
Là vous vous trompez.
Ce n'est pas tant cela qui fatigue le plus, que le fait d'être obligé de nous élever jusqu'à la hauteur de leurs sentiments. De nous élever, de nous étirer, nous mettre sur la pointe des pieds, nous tendre, pour ne pas les blesser"