Elle était en train de s’extirper d’un passé de dépendance aux drogues, la tête remplie de projets, : créer avec un ami une association d’aide aux addicts, suivre une formation de shiatsu, collaborer avec la ville de Crest qui appréciait ses talents de photographe, assister un cinéaste qui prisait la pertinence de ses points de vue… La veille, elle avait consommé des champignons et, avec sa franchise habituelle, s’en était ouverte quelques jours auparavant à Véronique, mon épouse, qui l’avait sérieusement mise en garde : - Fais attention, les champignons sont imprévisibles et te poussent parfois à des action dangereuses, voler comme un oiseau par exemple. - Rassures-toi lui avait-elle répondu, j’ai l’expérience, je sais doser mes prises et rester sous contrôle. Et c’est la dernière fois, je te le jure ! Après, je m’arrête.
Jeudi 2 janvier 2025 à 8 h 20 - France inter. Grand entretien
Sujet : « Narcotrafic en France » avec Jean-Michel Decugis, journaliste, auteur de Tueurs à gages, Étienne Blanc, sénateur du Rhône, auteur d’un projet de loi dont l’objectif est de sortir la France du piège du narcotrafic et Amandine Demore, mairesse d’Échirolles, commune proche de Grenoble, particulièrement impactée par le Narcotrafic.
Le livre de Jean-Michel Decugis enquête sur le crime organisé et ses nouvelles méthodes. Il analyse la violence extrême et l'amateurisme des shooters, jeunes tueurs à gages souvent recrutés via les réseaux sociaux, responsables d'homicides imprévisibles et collatéraux. Ces shooters, nous dit-il, petites mains des narcotrafiquants qui commencent souvent comme guetteurs ou vendeurs sont de plus en plus jeunes et de plus en plus amateurs. Ils sont envoyés au casse-pipe par des caïds dont ils ne connaissent que le surnom pour tuer des inconnus ou semer la terreur dans les quartiers ou des immeubles, pour des sommes allant de 2.000 à 15.000 € dont ils ne voient pas forcément la couleur car généralement, ils sont tués ou arrêtés au cours de leur méfait.
Étienne Blanc relate que ces gamins, âgés parfois de 14 ou 15 ans, ont la vie bousillée parce qu’ils entrent dans des réseaux dont ils ne peuvent plus sortir. Lors du déplacement à Marseille de la commission d’enquête sénatoriale (mars 2024), il a eu connaissance de faits d’une extrême violence : des enfants rendus à leurs parents assassinés et démembrés parce que « traîtres à la cause ».
Au cours de cet entretien, on apprend que le narcotrafic utilise de plus en plus des modes opératoires entrepreneuriaux - utilisation de nouvelles technologies, exportation de savoir-faire, d’armes, déplacement de spécialistes ou de conseillers, sous-traitance ou uberisation (mise en relation directe des clients avec le drogue, recrutement via le web et les plateformes numériques) -. Les Ports deviennent des passoires, les prisons des centres opérationnels pour les caïds incarcérés. Ce phénomène, à l'origine essentiellement urbain, s’étend désormais à l’ensemble du territoire, 1 – pour se rapprocher des consommateurs de plus en plus nombreux, 2 – parce que les endroits retirés sont moins surveillés par les autorités.
Decugis mentionne la DZ Mafia par exemple, un gang marseillais qui contrôle une bonne partie du sud de la France, connue pour la violence de ses procédés (Wikipédia en parle abondamment). Il est devenu un véritable cartel, c’est-à-dire une organisation basée sur l’entente de plusieurs associations criminelles. Il a des antennes un peu partout, a étendu le réseau de ses approvisionnements au monde entier, fournit de la main d’œuvre et des services, corrompt le personnel d’état, crée des entreprises ayant pignon sur rue pour blanchir l’argent de la drogue, étend ses activités à l’extorsion, au racket, voire aux enlèvements. Le cartel a même des visées politiques pour agir plus librement.
Le phénomène prend une telle ampleur que certains préconisent d’appliquer aux narcotrafiquants les mêmes mesures qu’au terrorisme.
Un auditeur évoque la responsabilité des consommateurs. Peut-on la réduire ? Les intervenants ont des doutes sur la question, l’un d’eux cite un ancien ministre qui disait qu’ils auraient du sang sur les mains. N’est-ce pas mettre tout le monde dans le même sac et masquer les effets néfastes du tout répressif qui favorisent les trafics clandestins, l’argent facile et les débordements en tout genre ? Consommer de la drogue est-il un péché mortel qui nous transforme en criminel ? Oui lorsque la loi interdit sans nuance et pénalise. Non si elle autorise et contrôle la vente de certains produits et dépénalise leur consommation. La question est alors de déterminer les drogues néfastes pour la santé, et plus largement pour la société, et celles qui le sont peu. Alcool, tabac, cannabis et dérivés, opium et dérivés (héroïne, crack…), cocaïne, champignons hallucinogènes (psilocybes, ergot de seigle-LSD), lianes (ayahuasca), cactus (peyolt), datura (herbe du diable), produit chimiques de synthèse (ecstasy, amphétamines…), etc., le champ d’étude est vaste.
Prenons conscience que le tout répressif et la prohibition créent dans le domaine du narcotrafic des zones de non-droit aux conséquences dévastatrices : criminalité, violence, règlements de compte, lutte des gangs, insécurité pour le citoyen, perte de qualité de vie dans les quartiers gangrenés. Le radicalisme actuel apparaît de plus en plus comme irresponsable. Le cannabis, par exemple, devrait être traité à tout le moins comme l’alcool ou le tabac bien plus néfastes pour la santé (maladies cardiovasculaires, pulmonaires, hépatiques ou mentales, cancers…), d’autant qu’il est devenu un produit-phare du narcotrafic (avec la cocaïne). Jean-Michel Decugis suggère une dépénalisation de cette substance, ce qui amènerait un contrôle par l’État du trafic et une source de revenus non négligeable pour lutter contre les vrais problèmes engendrés par les drogues lourdes.
Les intervenants évoquent en outre les conséquences économiques du narcotrafic qui génère une enveloppe financière évaluée actuellement à six milliards d’euros (presque le budget du ministère de la justice) et détourne des ressources publiques importantes vers la lutte et la répression. Il a également un impact non négligeable sur la santé publique (services médicaux et sociaux) mais également au sein des communautés : familles déchirées par les conflits, enfants addicts incontrôlables ou maltraités lorsque ce sont les parents qui se droguent, violence conjugale…
Il devient nécessaire d’agir à tous les niveaux car le narcotrafic représente un risque majeur pour notre société. L’État sera-t-il à la hauteur ?