Petit galop en miroir, quatre corps en harmonie, quatre esprits connectés. Tout est serein dans l'azur.
« Quand je l'ai lâché, Dao est parti comme une flèche. Il a fait quelques tours au galop, puis il est revenu vers moi. … Galvanisé par l'attente des spectateurs - dont les concurrents et les juges de l'épreuve -, il a enchaîné pas espagnol, cabrade, piaffer, etc., se déployant dans toute sa splendeur, se livrant avec un plaisir évident. Je n'avais qu'à guetter les signes qui m'indiquaient qu'il en avait envie, puis à l'inciter à le faire par mes gestes et mon attitude. Il s'est aussi assis, agenouillé et allongé de tout son long. Une tape dans les mains et un mot : Dao se redressait et partait au galop. Il a terminé par une révérence vers l'audience, courbant gracieusement la tête, un genou en terre. Subjugué, le public s'est levé pour une retentissante ovation. »
Magali et Frédéric viennent de faire une brillante démonstration de ce que devrait être l'équitation du futur : une activité se déroulant avec un animal épanoui, vivant pleinement sa vie, développant grâce à ses compagnons humains des qualités insoupçonnées, bref, « personne » à part entière. Ils nous en donnent la clé : au couplage des corps, ils ajoutent celui des esprits. Et nous en montrent son couronnement : celui de l'animal libre, acteur de la relation, en totale symbiose avec l'Homme.
J'ai pris Magali et Frédéric comme exemple mais j'aurais pu en prendre beaucoup d'autres parmi ceux que j'ai vus, à commencer par Jean-François, le frère de Frédéric, ou Lorenzo, ou Julien Lecourt, ou Jean-Marc Imbert. Et en remontant dans le temps Jean-Yves Bonnet, les Gruss, quelques chuchoteurs, Mais pas le cadre noir. Soumis au paradigme du cheval-objet dont il s'agit d'optimiser les performances par le canal de son obéissance, ses prestations me donnent l'impression d'un spectacle bien réglé, d'une esthétique parfaite, mais dont l'émotion est absente.
Une des performances de Magali Delgado, refaire à cru avec un simple collier les exercices de haute école qu'elle vient de faire avec son cheval harnaché.
La problématique du changement, c'est l'état d'esprit. Habitués à une façon de faire et de penser, changer consiste à déconstruire ses habitudes pour qu'émerge l'ordre nouveau. Cela implique une rupture. C'est pourquoi la première des choses à faire est de revoir le processus éducatif de façon à former de jeunes esprits, libres de tout conditionnement. L'entreprise devient alors beaucoup plus facile.
Une famille en vacance sur la plage.
En premier lieu, soyons conscient que considérer le cheval comme sujet et traiter avec lui de personne à personne nécessite une nouvelle vision, et du cheval, et du cavalier. Elle relève d'une nouvelle ontologie : celle de l'égalité des êtres vivants, tous habités par l'esprit. À mon niveau d'instituteur, j'enseigne que le cheval doit être « calme, attentif, en équilibre et droit » (puisque l'équitation de légèreté consiste à mettre le cheval en main, dans son équilibre naturel - celui correspondant au mouvement demandé -, et non pas en avant et sur la main) et que le cavalier aura en toute circonstance « l'autorité d'un maître, le calme et la patience d'un moine, et la bienveillance d'un père ». C'est ainsi que l'élève humain va acquérir une nouvelle conscience de la relation et que son dialogue avec le cheval prendra une autre dimension. La remise en question permanente sera à l'ordre du jour et le geste - à la recherche de l'allègement de l'appui et du relâchement musculaire (par l'équilibre et la mise en main) dans un climat d'apaisement mental (par la confiance et le tact) - prendra tout son sens[1].
Ajoutons-y le contact passif et l'action par touches - par le couplage des membres du cavalier avec ceux du cheval -, plus un apprentissage au collier d'encolure, la nouvelle équitation est en marche pour le bien-être du cheval, le bonheur de son cavalier et l'harmonie du couple offerte en cadeau aux regards de tous. Nous en reparlerons.
Jubilation
« La main heureuse, c’est d’arriver sans effort à l’impossible. » (Christian Bobin).
Note
[1] Cf. « D'une main déliée » de Patrice Franchet d'Espèrey.
1 De Frédéric et Magali -
Merci Stéphane pour cet hommage à notre travail avec nos chevaux. On prend conscience que l'équitation du futur doit effectivement prendre naissance dans cette philosophie du respect du vivant. La nature comme le cheval n'est pas au service de l'Homme, celui-ci fait partie de ce "tout" dans lequel et avec lequel il doit évoluer en congruence.
Amicalement