Nous avons tous l'intuition d'être connecté à plus grand que soi. Que ce soit via l’émerveillement face à la beauté et à la complexité de la nature, la force vitale qui nous anime ou l'étude du réel. En partant à cheval à la découverte du monde - période qui a duré plus de vingt ans -, j'ai cherché à découvrir quelles étaient les réponses de l'Homme à cette intuition. Cette enquête, qui m'a sorti de ma monoculture catholique, m'a fait découvrir quelques vérités fondamentales qui ont éclairé ma lanterne. Elle a débouché sur une autre question : ces réponses sont-elles du domaine de la croyance ou de la Vérité ?
Religions abrahamiques
Mon premier voyage dans un Moyen-Orient musulman a élargi ma connaissance des religions abrahamiques : christianisme, islam et judaisme. Lesquelles, sur la base du récit biblique, ont répondu à cette intuition en concevant un Dieu transcendant, personne à part entière, extérieur à sa création, concerné avant tout par sa créature principale, l'homme qu'il aurait fait à son image et à qui il aurait révélé quelle devait être sa manière de penser et de se conduire.
La suite de mes voyages dans d'autres cultures m'a vite amené à conclure que c'était plutôt l'Homme judéo-islamo-chrétien qui, effrayé par la dimension de cette mystérieuse intuition, lui avait donné une consistance concrète en en faisant un Dieu à son image. Vision valorisante pour l'Homme mais peu gratifiante pour le mystère divin, avouons-le !
Animisme
Mes voyages sur les continents américain et africain m'ont permis de découvrir les cultures animistes. Elles donnent une importance considérable à l'esprit, d'abord en prêtant une âme à tous ce qui nous entoure, ensuite en considérant que notre monde terrestre est régi par un monde supérieur, invisible, habité par les dieux, les âmes de nos ancêtres et nos propres doubles. Certaines catégories d'humains ont accès à ce monde des esprits : les chamanes d'Asie et leurs homologues amérindiens (hommes ou femmes-médecines, cantadores) ou africains (sorciers, guérisseurs ou devins).
Un indien mexicain me disait : « Chez vous les blancs, Dieu vous parle à travers la Bible. Chez nous, la nature est le livre de Dieu ». Les cultures animistes voient le monde comme un ensemble interconnecté, imprégné par l'esprit, où chaque élément est une entité à part entière. L'homme s'insère dans cet ensemble en tant que maillon de la grande chaîne du vivant, ni plus, ni moins.
Philosophies religieuses orientales
Le cycle de mes grands voyages s'est terminé par l'Orient, domaine des trois philosophies religieuses taoiste, hindouiste et bouddhiste. Dans chacune d'elle, un Principe premier est à l’origine de toute chose et en particulier de la réalité phénoménale dans laquelle nous vivons et qui constitue notre univers. Le « Tao », source de toute existence, s’apparente au « Brahman », l’Absolu immuable du Vedânta hindou qui s’identifie à la « Réalité absolue » du Bouddhisme. Toutes trois considèrent ce Principe premier comme inconcevable : il ne peut être appréhendé par l’esprit humain (exception faite de l’expérience mystique). Cette intuition est donc considérée comme un mystère.
Om mani Padmé Houm
Croyances ou vérités ?
Comment savoir si ces réponses sont du domaine de la croyance ou de la vérité ? Cette interrogation nous amène à une autre question : Qu'est-ce que la Vérité ? Selon la définition communément admise (et par les dictionnaires, et par les philosophes[1]), elle apparaît lorsque l'idée est conforme au réel. Le réel étant ce qui existe indépendamment de notre perception ou de notre pensée (distinct donc de la réalité qui peut être différente pour chacun).
Le réel, manifestation du mystère divin
Le réel, en perpétuelle transformation, a d'autant plus d'importance qu'il est la manifestation actualisée du mystère divin, donc sa seule expression tangible, indubitable. Alors que la révélation, en provenance d'une entité qui se situe au-delà du réel, transmise par l'homme à une époque et dans des conditions déterminées, donc figée dans le temps et dans la pensée, ne peut entraîner pour un esprit raisonnable que doute et suspicion. Une première conclusion s'impose. Comme l'étude du réel est du domaine de la Science - c'est elle qui l'observe en détail et détermine les lois qui le régissent -, toute religion qui serait en opposition avec elle relève de la croyance, non de la Vérité. La seule religion que je connaisse qui confronte sa spiritualité à la science est le bouddhisme (lire par exemple : L'infini dans la paume de la main de Matthieu Ricard et Trinh Xuan Thuan, ou Passerelles : entretiens avec des scientifiques sur la nature de l'esprit).
En conclusion
La réponse des philosophies religieuses orientales déclarant que le divin est un mystère m'est apparue comme lucide et intelligente. Celle de l'animisme m'a particulièrement intéressé dans la mesure où elle considère que l'esprit imprègne le réel, comblant ainsi un vide laissé par la science : la prise en compte de l'énergie vitale. Selon Philippe Descola (Par-delà nature et culture), dans cette "ontologie"[2], humains et non-humains partagent une intériorité similaire basées sur des échanges comme ceux entre des personnes. Les guides spirituels amérindiens de cette culture se considèrent comme les « gardiens de la terre ». Ils ont certainement des choses à nous apprendre. Une étude holistique du réel ne consisterait-elle pas à l'appréhender simultanément avec ces deux approches, scientifique et spirituelle ?
Dieu-transcendance me laisse sceptique. Les "révélations" sont loin de me convaincre et les expériences mystiques me sont étangères. La mort m'apportera-t-elle une réponse ? Je ne sais. En revanche, dans le réel, je constate que l'énergie vitale est présente partout et que le couplage des esprits m'apporte un fort sentiment de plénitude, de lien avec "le grand tout". Dieu-immanent fait partie de mon quotidien. Je l'appelle LA VIE.