Nous quittons le Turkana, lac alcalin en milieu désertique logé au fond du Rift. De grandes marches de terrain calciné nous hissent en territoire samburu à 1.000 m d'altitude. On y accède par un goulet dominé par deux puissants escarpements recouverts de végétation.. Nous arrivons dans un parc ombragé où coule une rivière transparente. Une herbe tendre pousse à profusion. Festin irrésistible pour Tinish, notre cheval, et Bilichta, notre mule, qui nous manifestent clairement leur désir de se poser ici. Bien vu ! Sous les arbres tout repose le regard, la lumière est adoucie par le bleu profond du ciel et le vert soutenu du couvert végétal. Les oiseaux chantent, le gazouillis de la rivière s’accompagne à la tombée de la nuit d'un concert de grenouilles, de petits singes malicieux jouent dans les branches et viennent nous manger dans la main. Dans ce décor douillet comme un nid, les tensions se relâchent, les corps et les esprits se détendent. Ambiance propice aux échanges et aux longues conversations avec les jeunes samburus de l'endroit.
Leçon équestre à la demande de l'institutrice. Ses élèves n'avaient jamais vu de chevaux.
Ce matin, Consolata, l'institutrice nous amène sa classe d'enfants. Surprise ! Ils arrivent en chantant et au pas, la plupart en tenue rouge, couleur du peuple samburu. Ils ont entre 4 et 6 ans et n'ont jamais vu de chevaux. L'évènement est considérable. Véronique prend les photos. Ils sont fascinés par Tinish que je brosse en comparant son anatomie avec la mienne. Consolata traduit en swahili ; le farasi (cheval) et la nyumbu (mule) font un énorme succès. Clou de ce pansage, le curage des pieds pendant lequel j'explique que les chevaux n'ont que leurs jambes pour survivre et en soulignant que, si Tinish me donne les pieds aussi facilement, c'est qu'il a une grande confiance en moi. Je le harnache… et propose de prendre en croupe ceux qui le désirent. Surpris, interloqués, personne n'ose se décider. Sauf la plus petite de tous qui lève timidement le doigt. C'est parti ! Tout le monde se décide ou presque. La plus acharnée est cette petite qui se met au premier rang et lève systématiquement la main lorsque que la maîtresse demande : À qui le tour ? Extrait du cahier de bord de Véronique : "Mignonne à croquer dans sa petite robe rouge, les petites fesses à l'air quand je l'assois sur la croupe de Tinish, elle est aux anges quand Steph lui fait faire un grand tour supplémentaire." Ainsi naissent les vocations ?
Petit tour en croupe pour clore la leçon
Un après-midi, nous recevons la visite de jeunes gens. Certains sont habillés dans le costume traditionnel des moranes, classe d'âge des guerriers responsables des troupeaux et de la sécurité du village, d'autres portent une tenue occidentale classique, jean et T-shirt ou chemise. Devant notre étonnement, Josef, habillé et coiffé à l'européenne à qui je demande s'il est morane, nous répond que oui mais qu'il ne porte pas leur tenue parce qu'il fait des études et que ce n'est pas admis. À l'école, nous explique-t-il, on apprend tout ce qu'il faut savoir sur le monde d'aujourd'hui. On nous met dans la tête des connaissances et des préoccupations qui ne nous concernent pas. Les moranes, mes frères, ne s'occupent que de leurs troupeaux, du village, de leur beauté et de leur force. Leur monde est simple, ils sont heureux. Moi je n'ai ma place, ni dans la société qui me coupe de mes racines et qui me propose… le plus souvent le chômage ! ni dans mon village où je suis tenu à l'écart.
Moranes samburus
Un missionnaire nous confirme : La vie d'un morane est insouciante, futile, guerrière, exaltante. De par leurs fonctions ils sont les jeunes seigneurs de leur peuple. Elles marquent l'apogée de leur condition d'homme. Celui qui va à l'école a une vie frustrante d'études, d'éloignement, sans gratification. Ils sont de passage au village, peu intégrés au groupe. D'où une perte d'identité, une déchirure entre deux mondes où il n'y a plus de place pour eux.
1 De Mahican -
Intégrer "d'autres mondes" sans en avoir la culture, le vécu, la connaissance... c'est si difficile...
Et pourtant au nom d'un "progrès", au nom du "développement", au nom de "civiliser des sauvages", au nom d'un "meilleur Dieu ou religion" etc., on leur parle d'un ailleurs, un ailleurs qui n'est pas le leur.
Alors ils apprennent, très loin d'être bêtes. Mais on les déshérite de leur culture, de leur patrimoine ancestral...Comment y retrouver ses repères ? Chez eux ils ne sont plus moranes, ils ne connaissent même plus le nom de leurs vaches, ils n'ont plus de statut. Dans l'ailleurs, ils ne sont personne. Des étudiants de brousse dont on donnera la parole et prêtera de l'écoute à très peu d'entre eux...
La pluralité des cultures passe par le respect de chacune. Mais l'intégration entre elles est beaucoup plus complexe qu'une simple relation commerciale ou qu'un bête idéalisme.
La richesse et la beauté de la Vie sont dans la diversité alors que cherche-t-on, encore et toujours avec notre endoctrinement basique et pervers ?
Merci